#empowerwomenthroughcreativity
Pour ce deuxième article de notre trilogie « Industrie textile, développement durable et Heimstone », j’aimerais partager avec vous un aperçu des défis que nous avons tenté de relever au cours des dix dernières années (parfois avec succès !), ces étapes fondatrices qui nous ont construites et qui petit à petit, nous ont poussées pour qu’aujourd’hui on s’interroge ensemble sur la place que nous avons dans l’industrie textile. Au-delà du développement de notre identité, de notre style, du respect de notre univers de marque et forcément de toutes les contraintes économiques que nous avons rencontrées, j’aimerais vous permettre de comprendre en toute honnêteté et transparence nos parti pris et les choix qui ont construit le Heimstone d’aujourd’hui, au sein du contexte que je vous ai exposé dans le premier article.
En introduction, je vous ai parlé de Reformation, dont l’engagement est d’être une marque 100% durable. Heimstone n’est pas née comme ça, lorsqu’elle a été créée il y a 12 ans.
Vous souvenez-vous de comment c’était il y a 12 ans ? Nous n’avions pas encore tout à fait autant pris conscience des abus et des conséquences de la société de consommation. Chez Heimstone nous menions notre barque comme tout le monde. Je vais vous en raconter son périple.
Aux prémices de la marque : requestionner
Lorsque j’ai lancé Heimstone en 2007, nous utilisions 100% de matières naturelles : de la soie, un peu de lin et de coton et notre fabrication était faite à 100% en Inde. À l’époque, notre souhait était finalement le même qu’aujourd’hui : créer une marque de produits singuliers et haut de gamme, et dans ma tête, c’était ce que la soie représentait.
D’un point de vue concret, notre fabrication indienne n’a jamais été pour moi un problème non plus (alors que ça l’a été pour beaucoup de nos clientes). Je trouve que chaque pays a son propre savoir-faire et ses qualités, j’adorais me rendre trois à quatre fois par an sur place et surtout j’adorais le patron de mon usine, Anil, un homme d’une cinquantaine d’années qui était toujours là pour faire passer nos mini quantités de production avant tout le monde, nous livrer des productions complètes même si la trésorerie bloquait et Dieu sait qu’elle bloquait souvent.
Bref, je trouvais que de travailler avec eux rendait mon travail encore plus intéressant, car comme toujours quand nous sommes dans un pays étranger, nous sommes en général beaucoup plus indulgents, patients et finalement respectueux, après tout c’est une culture très différente de la nôtre.
Quant aux Indiens, ils avaient aussi besoin de clients comme nous, de jeunes designers parisiens avec une possibilité de forte croissance. Alors pour eux, comme pour nous, rien n’était impossible.
Cela étant dit, il est vrai que très rapidement nous avons été confrontées à diverses problématiques : des coûts de transports et frais de douane trop élevés, et malheureusement de nombreuses clientes bloquaient sur nos prix car pour elles, « fabrication indienne » voulait dire « coût de fabrication très bas », alors que malheureusement cela n’est pas le cas surtout pour des marques de notre calibre qui généralement paient 30% de majoration sur chaque pièce produite à cause de la taille réduite de nos productions. Je dois avouer que j’ai toujours été scandalisée quand certaines clientes tenaient ce genre de propos qui pour moi, encore une fois manquaient de bon sens : oui, il y a des pays où malheureusement les ouvriers ne sont pas respectés par leurs employeurs qui eux-mêmes ne sont pas respectés par les Maisons qui les emploient, mais ça ne peut pas être une vérité généralisée. Encore une fois Heimstone n’est pas une marque aux productions XXL, et tout le monde ne fonctionne pas de la même manière. Nous avons pris le parti de la sérénité et du respect.
D’autres pensaient que la soie, « c’était bien beau », mais que c’était surtout contraignant car elle nécessite un entretien spécifique, que c’est une matière fragile qui en plus se froisse. Bref, il fallait évoluer et trouver des solutions pour satisfaire nos clientes.
Dès 2009 nous avons commencé notre premier chantier en donnant la priorité à ce qui semblait essentiel aux yeux de nos clientes : notre lieu de production. Malgré tous les avantages que cela offrait (la créativité, les broderies, les voyages etc), je ne concevais plus que le lieu de fabrication de nos pièces soit si éloigné de moi, principalement pour des raisons de coûts de transport et de douane, mais aussi parce que ça me permettait de limiter les déplacements. Je vais être complètement transparente avec vous, à l’époque l’écologie n’était pas encore au centre des conversations, même si nous avions déjà en tête les problématiques de limitation de pollution à échelle individuelle, la conscience de la planète ou les méfaits de l’industrie de la mode, qui n’avaient pas encore à ce point émergé.
Nous avons donc opté pour une fabrication européenne (nos usines se trouvent principalement en Pologne depuis 2010, mais aussi en Île-de-France depuis 2012), nous permettant d’être plus proches de nos usines, de travailler sur le même fuseau horaire, mais aussi de limiter des transports coûteux et polluants (ce fameux travail de réduction des kilomètres parcourus dont je vous parlais dans le premier article). Nous avions tout d’un coup la possibilité de nous faire livrer par camion, c’était juste incroyable pour nous. En parallèle, nous perdions le savoir-faire de nos brodeurs indiens, nous avons donc arrêté de faire des broderies chez Heimstone (jusqu’à notre capsule streetwear, tout récemment, de façon très ponctuelle !) et nous avons trouvé un imprimeur de soie à Lyon. Tout cela impliquait d’intégrer beaucoup de changements, mais comme toujours c’était une sensation très satisfaisante de sentir la marque évoluer.
Malgré des coûts de transports considérablement réduits, les prix de fabrication et de matières premières avaient, eux, énormément augmenté et il nous était impossible de fabriquer des robes européennes en soie française au même prix que nos produits indiens. Nous avons d’abord décidé de couper la poire en deux : diminuer nos marges et augmenter légèrement nos tarifs. Pour une petite entreprise comme Heimstone, les conséquences ont été catastrophiques pendant un temps.
En 2012, après avoir manqué de faire faillite (je vous invite à lire notre article Heimstone : détermination, créativité et cashflow, nous avons dû repenser et restructurer entièrement notre business (entre des marges trop faibles et un système de distribution qui ne fonctionnaient pas). Il fallait commencer par le choix de nos matières, le second gros chantier de l’histoire d’Heimstone.
Car malgré nos efforts pour défendre un produit haut de gamme et singulier, certaines de nos clientes étaient toujours insatisfaites par les contraintes de la soie majoritaire dans nos collections et les prix de cette matière première qui s’envolaient à cause de son épuisement (je me souviens avoir dessiné toute ma collection d’imprimés sur de la soie pour la collection Bloom été 2016, et trois mois plus tard au moment de passer la commande production, la soie avait augmenté de 8 euros/mètre. Hallucinant, cette production nous avait couté cher, à nous et à nos maigres marges).
Nous n’avions plus d’autre choix que de trouver une alternative qualitative, qui rentrerait à la fois dans notre équation économique et qui soit bien sûr durable. Sans quoi, Heimstone aurait probablement mis la clé sous la porte.
Heimstone, son allure et ses imprimés
Avec Heimstone, je suis attachée plus que tout au tombé d’un vêtement, c’est-à-dire à sa dégaine, et je crois que c’est aussi ce qui vous plaît et ce que vous venez chercher chez nous : une silhouette fluide mais précise, une allure vaporeuse. Et pour cela le choix de nos tissus est primordial. Nous sommes bien d’accord, il y a des problèmes plus importants que le tombé d’un vêtement ! Mais si j’acceptais de dire au revoir à la soie à l’époque qui donnait cette fluidité à mes collections, je refusais en revanche de compromettre ce style singulier, ce tombé qui faisait l’âme d’Heimstone.
À cela vient s’ajouter une autre problématique, et pas des moindres car c’est notre spécificité : chez Heimstone nous développons tous nos imprimés, et malheureusement toutes les matières ne sont pas imprimables : (une impression sur une matière naturelle est souvent beaucoup plus floue, les couleurs sont moins précises et se délaveront au fur-et-a-mesure des lavages).
Étant maintenant dans cette industrie depuis des années et ne trouvant pas de solutions parfaites, nous avons dû créer notre propre solution. Après avoir rencontré et échangé avec plusieurs fournisseurs de tissus pointus et spécialisés, nous avons découvert (et choisi) le satin polyester sur lequel nous imprimons une grande partie de nos collections depuis 2016.
Comme beaucoup d’entre nous, j’avais des a priori sur le polyester qui est souvent réduit à du synthétique peu qualitatif. J’ai dû apprendre et m’éduquer aussi sur cette matière. Laissez-moi vous présenter le satin polyester que nous utilisons sous un autre jour.
Tout d’abord, comme tout et tout le monde dans la vie, cette matière n’est pas parfaite, mais elle présente beaucoup d’avantages.
Le satin polyester est un matériau très léger, respirable, et à mes yeux il imitait à la perfection ce fameux tombé fluide de la soie. Il est aussi très brillant, d’où son appellation de satin polyester d’ailleurs (qui résulte d’une technique de tissage spécifique).
Il a également l’avantage d’être doux, durable, extrêmement résistant : en somme c’est un vêtement que vous garderez longtemps. Et si vous vous en êtes lassées ? Offrez-le, échangez-le, vendez-le, bref, permettez-lui de vivre plusieurs vies (gardez en tête que c’est aussi à nous d’offrir une belle fin de vie à nos vêtements une fois que nous n’en voulons plus, nous avons toutes et tous le pouvoir de changer la donne).
Il ne se froisse quasiment pas, ce qui est un pur bonheur quand on déteste le repassage comme moi (un autre moment où vous pouvez économiser sur votre consommation d’énergie d’ailleurs).
Ensuite, se pose la question de l’impact écologique du polyester, et comme nous l’avons évoqué dans le premier article de cette trilogie, aucune matière n’est parfaite. Il faut choisir son combat. Un de mes combats principaux chez Heimstone aujourd’hui est de limiter les déchets en contrôlant notre production mais aussi en créant des vêtements durables (versus le mass market avec des vêtements que nous portons trois fois avant de les jeter). Chez Heimstone, nous savons qu’une pièce en polyester sera robuste et tiendra des années, et c’est ça pour nous être écologique. Nous conservons également dans chacune de nos collections des pièces en soie, en viscose, en laine, et en coton… tout est une question d’équilibre et la consommation s’effectue en pleine conscience.
Du côté fournisseurs, ils savent qu’ils doivent eux aussi évoluer et être en mesure d’offrir à leurs clients des solutions durables. Récemment, nous avons trouvé un polyester recyclé à 70% (celui de notre imprimé pois ou encore de l’imprimé en collaboration avec Three Seven).
Dans un monde parfait j’aimerais pouvoir continuer à n’utiliser que des matières à fibre naturelle, mais il faut voir la réalité des choses en face, la soie comme le coton connaissent une véritable crise depuis maintenant quelques années, et leurs empreintes écologiques sont tout aussi discutables que celles des fibres synthétiques.
En vous écrivant ces quelques lignes sur l’histoire d’Heimstone, je réalise que la richesse de mon aventure entrepreneuriale m’a naturellement poussée à faire des choix affirmés, ils ne sont pas forcément parfaits, mais en tout cas l’intention a toujours été là, et quand je plonge dans ma mémoire, j’ai souvenir que chacun de ces tournants ont toujours été motivés par un même souhait : faire un choix juste. Choisir les fournisseurs justes, produire juste, vendre juste.
Aujourd’hui, cette motivation reste inchangée pour les nouveaux défis qu’Heimstone doit relever. Toutes ces étapes qui ont jalonnées le parcours et l’histoire d’Heimstone nous ont conduites à prendre conscience de certaines choses et à prendre des engagements qui seront justement l’objet de notre troisième et dernier article de cette trilogie. Je vous y parlerai des choix de l’ombre, ceux que vous ne voyez pas (encore!) mais qui peuvent faire la différence, qui se décident avant vos visites en boutique, avec mon équipe, et qui représentent déjà des prises de position pour un Heimstone plus durable. J’en profiterai pour vous parler de ce que nous souhaitons mettre en place pour vous et avec vous, en tant que cliente, pour que vous nous aidiez à réduire l’impact environnemental de nos pièces. L’avenir d’Heimstone se joue toutes ensemble, alors n’hésitez pas à partager vos inspirations et idées pour venir nourrir notre combat pour l’année à venir.
On ne le dira jamais assez mais il n’y a pas d’unique vérité, il n’y a que les vérités que l’on se crée. Partagez-nous VOTRE point de vue.
A très vite !